Pierre Soulages au Musée du Luxembourg : entre lumière et déception

Je vous emmène aujourd’hui au musée du Luxembourg pour cette exposition consacrée à un pan de la vie artistique moins connu.

Rarement rassemblée dans des expositions à part entière, l’œuvre sur papier de Pierre Soulages constitue pourtant un pan essentiel de son parcours artistique. Dès 1946, il explore cette voie avec des peintures au brou de noix, aux traces larges et affirmées, qui marquent d’emblée sa singularité au sein des démarches abstraites de l’époque.

Alors tout aurait dû être rassemblé pour avoir une exposition de qualité, mais ce n’est pas tout à fait le cas.

Alors avant de vous donner mon avis sur cette exposition, laissez-moi vous emmener dans l’univers de Pierre Soulages.

Soulages, l’homme du noir-lumière

Qui est Pierre Soulages ?

Né en 1919 à Rodez, Pierre Soulages est sans conteste l’un des artistes français majeurs du XXᵉ et du début du XXIᵉ siècle. Autodidacte, passionné très jeune par la préhistoire et l’art roman, il forge très tôt une vision personnelle où la lumière, la matière et le geste deviennent les véritables sujets de la peinture.

Dès la fin des années 1940, il s’impose sur la scène internationale par une abstraction radicale, indépendante de toute école. Ni lyrique, ni géométrique, sa peinture se définit par de grandes striures sombres, des équilibres puissants et une sobriété volontaire. Soulages se méfie de l’anecdote : il ne peint pas le monde, il peint la relation entre la lumière et la matière.

Cette quête atteint son sommet en 1979 lorsqu’il invente le concept d’Outrenoir, « au-delà du noir ». Ce n’est plus la couleur qu’il cherche, mais la lumière elle-même, telle qu’elle se réfléchit, se transforme et renaît au contact du noir. Il dira :

« C’est lorsque je me suis limité au noir que la lumière est devenue matière, substance, force vivante. »

Son œuvre ne se contente pas d’explorer le visible : elle questionne la perception, le silence et la profondeur du regard. L’Outrenoir devient alors une expérience sensorielle et spirituelle, où chaque surface striée, polie ou rugueuse, capte et diffracte la lumière différemment selon l’angle du spectateur.

Un artiste hors pair et universel

Pierre Soulages est l’un des rares artistes à avoir connu, de son vivant, un hommage au musée du Louvre, en 2019, à l’occasion de son centenaire. Avant lui, seuls Picasso et Chagall avaient eu ce privilège. Cette exposition consacrait plus de soixante-dix ans de création et soulignait la place unique de Soulages dans l’histoire de la peinture moderne.

Son influence dépasse largement les frontières françaises. Présent dans les collections des plus grands musées — Centre Pompidou, MoMA, Guggenheim, Tate Modern —, il a su unir rigueur formelle et profondeur métaphysique, à la manière des grands maîtres de la lumière. Chez Soulages, le noir n’est jamais absence ; il est la matrice du visible, un espace de révélation où la lumière naît du silence.

Une exposition ambitieuse mais décevante

Grâce à des prêts exceptionnels du Musée Soulages, le Musée du Luxembourg rassemble aujourd’hui 130 œuvres sur papier, réalisées entre les années 1940 et le début des années 2000, dont 25 inédites. Ces peintures, longtemps conservées dans l’atelier de l’artiste, témoignent de la constance et de la liberté avec lesquelles il a abordé ce support.

Mais malgré cette promesse, l’exposition déçoit. La scénographie, d’une austérité surprenante, ne rend pas justice à la puissance visuelle de Soulages. Les œuvres sont simplement alignées, presque posées les unes à côté des autres, sans respiration ni mise en perspective. Le visiteur peine à comprendre l’évolution du geste, la transition du brou de noix à la gouache, ou encore le lien entre ces travaux sur papier et l’Outrenoir.

Les témoignages sur l’Officiel des Spectacles confirment cette déception :

« À quand des explications et la fin de l’élitisme dans les expositions où l’on n’explique rien ? »

Le manque d’explications, d’outils de médiation et de contextualisation rend la visite aride, même pour les amateurs d’art. Le foisonnement d’œuvres crée une forme d’indigestion visuelle, sans véritable fil conducteur. Bref, je me suis ennuyée ! Quel gâchis !

Un détour conseillé : Rodez

Pour comprendre pleinement Pierre Soulages, il est préférable de se rendre au Musée Soulages de Rodez, où la présentation de l’œuvre, la lumière et la pédagogie permettent d’entrer dans l’univers du peintre. Là-bas, l’Outrenoir se vit et se comprend. Ici, au Luxembourg, malgré la qualité indéniable des œuvres prêtées, la magie n’opère pas.

Cette exposition, que l’on attendait avec impatience, laisse une impression mitigée. Si elle offre l’occasion rare d’approcher les recherches sur papier de Soulages, elle échoue à en révéler la force intérieure et la portée historique. Un rendez-vous manqué pour un artiste qui a pourtant fait de la lumière et du mystère un art de la révélation.