Nicolas de Staël : entre Abstraction et Figuration

nicolas-de-stael

Rétrospective au  Musée d’Art moderne à la rétrospective de Nicolas de Staël

L'exposition se tient du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024, tout juste 20 ans après celle présentée au Centre Pompidou à Paris.

Les expositions du musée d’art Moderne sont de qualité et celle-ci est définitivement à ne pas manquer.

De la même manière que le musée nous avait plongé dans l’univers d’Ana Eva Bergman, cette exposition est une invitation à un merveilleux voyage, à la découverte de celui de Nicolas de Staël, où le temps semble suspendu.

Même pour ceux qui auront suivis les différentes expositions itinérantes consacrées à Nicolas De Staël, comme celle consacrée à son séjour en Provence en 2018 à l’Hôtel de Caumont à Aix et d’autres encore, ou encore ceux qui auront pu admirer les œuvres exposées au musée Picasso à Antibes qui compte la collection la plus importante du peintre, cette rétrospective est tout à fait hors du commun.

Alors avant de vous faire découvrir en quoi cette rétrospective demeurera dans les annales des expositions dédiées à l’artiste, je me permets de revenir brièvement sur Nicolas de Staël.

Nicolas de Staël

Nicolas de Staël naît à Saint Pétersbourg, déjà rebaptisée Petrograd, en 1913 dans une famille militaire proche du tsar. La révolution bolchévique le force à l’exil en Pologne.

Orphelin dès 1919, il est confié à des tuteurs en Belgique.

En 1933, il s’inscrit à l’École des Beaux-Arts et découvre les artistes qu’ils admirent et dont il apprend beaucoup, comme Rembrandt, Cézanne ou encore Braque pour ne citer qu’eux.

Il voyage dans toute l’Europe, s’instruit et apprend de ses pairs aïeux ou contemporains, et sillonne les paysages du Maroc, de la Sicile, de l’Italie puis à Paris.

Il est important de comprendre que Nicolas de Staël demeure un déraciné qui doute de lui-même et de son travail, venant à détruire de nombreuses œuvres, notamment en début de carrière. Pour en savoir plus, je vous invite à lire le livre de Laurent Greisalmer le prince Foudroyé que vous trouverez à la sortie de l’exposition.

Vous l’aurez noté, on parle souvent de Nicolas de Staël dans des termes de fougue, de rage de vivre.

Mais, Nicolas de Staël, bien que tourmenté, était la joie : il se réjouissait de la vie, adorait être témoin de cette vie qui jaillissait de ces matchs au Parc des Princes qui restera une série inoubliable du peintre.

Plusieurs tableaux avaient d’ailleurs été réunis au Doyenné de Brioude en 2021 que j’ai eu le plaisir de voir.

Sa fille Anne disait qu’il « puisait une énergie ramassée sur l'instant, qui permettait d'avancer en vue d'un aiguisement acéré »,

Nicolas de Staël avance sur le fil du rasoir.

Alors oui, il était torturé, mais pour reprendre les propos de Jean-Louis Prat, « on est tous torturés »

Par sa funeste expérience de vie, ses souffrances, ses joies, Nicolas de Staël aura sur inventer un langage, lui aussi, puisque finalement la peinture de Nicolas de Staël est inclassable.

Car si on a souvent simplement rangé la peinture de Nicolas de Staël dans l’abstraction lyrique, il faut savoir que ce peintre abhorrait ce classement, car il n’envisageait pas l’abstraction comme intellectuel et décalquée de la réalité mais bien proche de la vie et des choses qui l’animent.

Il refuse toute étiquette et tout courant, tout comme Braque qu’il admire : il vit seul face à son œuvre, et c’est cela qui l’anime.

Malgré ses difficultés matérielles, Staël refusera d’ailleurs de participer à la première exposition du Salon des réalités nouvelles fondé par Sonia Delaunay, Jean Dewasne, Jean Arp et Fredo Sidès parce que la progression de sa peinture le conduit à s'écarter de l'abstraction la plus stricte.

Toujours sur ce fil du rasoir, il peindra avec son âme jusque tomber dans l’abîme de la mort, en se suicidant à l’âge de 41 ans.

Par son style évolutif, qu'il a lui-même qualifié d’« évolution continue », il reste une énigme que cette exposition tente de résoudre avec succès, ce qui en fait,  comme je vous le disais,  une exposition incontournable.

L’exposition

L’exposition rassemble un nombre conséquent d’œuvres non pas seulement prêtées par des musées, mais également par des particuliers : parmi les 200 œuvres exposées 70 n’ont jamais été présentées au public, grâce à un travail de fourmis mené par les conservateurs, en commençant par les descendants de l’artiste, puis les marchands pour remonter à des collectionneurs privés très enclins au prêt de leurs tableaux.

L’exposition se divise somme toute en trois parties : les dessins du début de sa carrière, les paysages de Sicile et les deux grandes salles consacrées à son œuvre de fin de vie.

Le dessin, le travail sur papier nous amène à comprendre la démarche de l’artiste, où il expérimente et construit ce qui sera révélé plus tard sur la toile : le fusain vibre dans les différentes variations de noirs tandis que la gomme fait surgir la lumière.

Car de Staël, comme d’autres peintres avant lui, est attaché au jeu de la lumière, comme l’était Manet ou comme le sera Soulages.

La lumière, il la trouvera dans cet atelier de la rue Gauguet, période de la fin des années 40 durant lesquelles sa palette s’éclaircit.

Son travail se renouvelle constamment et son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond » l’amène à expérimenter sans relâche.

Ainsi après ses toiles obscures, ses tableaux se meuvent de faisceaux enchevêtrés à des formes plus amples, aériennes.

En 1949, il s’éloigne des compositions aux barres enchevêtrées, vers des formes plus constructives et des masses s’agencent sur la surface de la toile, les couches de couleurs se superposent, comme une construction de l’esprit.

En soi, on retrouve la sensibilité qu’avait Fautrier dans la matière ou encore celle de Soulages : toutes les tripes de l’artiste sont agencées structurées par couches successives.

Et si ces tableaux vous paraissent abstraits, Nicolas de Staël déclare alors à rebours de l’époque que « les tendances non figuratives n’existent pas », affirmant que « le peintre aura toujours besoin d’avoir devant les yeux, de près ou de loin la mouvante source d’inspiration qu’est l’univers sensible »

Et cela je dois dire, les conservateurs et commissaires de cette exposition l’ont bien compris, car ils nous invitent à voir de Staël autrement.

Certes, cette exposition met en valeur ses peintures les plus emblématiques.

Des paysages abstraits aux natures mortes colorées, en passant par ses figures humaines intenses, mais ce qui ressort de manière indéniable est sa liberté, manifestée par une sensibilité vive, menée par une quête picturale d’une rare intensité.

Depuis ses toiles sombres et matières des années 1940 jusqu’à ses tableaux lumineux peints avant son suicide en 1955, la rétrospective présente cette œuvre comme une quête infinie du sens de la vie .

Arrêtons-nous sur cette Grande composition Bleue (1950-51) : quelle présence ! Un grand format au service de la forme et de la pesanteur comme a pu le faire également Anna Eva Bergman qui a précédé de Staël sur ces murs.

La même résonnance : la forme s’impose à nous dans une complexité de matière qui semble faire résonner en nous l’indicible sens de l’existence.

En deux cents tableaux et dessins, on peut donc suivre les changements du travail de l’artiste, de ses toiles du début, sombres, maçonnées, hautes en matière, jusqu’aux œuvres de la fin, plus lumineuses et fluides.

En douze ans, Nicolas de Staël peint beaucoup, expérimente tout le temps : un funambule entre Abstraction et figuration.

Bien qu’abstraites formellement, ses toiles semblent habitées par une présence physique du monde : Staël parle « d’images de la vie » qu’il reçoit « en masses colorées ». On pourrait le citer comme un disciple de la vie dans tout ce qu’elle apporte tant dans l’ombre que la lumière.

Je vous citais l’importance du dessin dans cette exposition qui permet de poser les bases de travail de l’artiste : aux côtés de tableaux, vous verrez des croquis au stylo-feutre, au fusain, à l’encre et ceci permet de comprendre que l’artiste passait aisément du dessin à la toile sans privilégier l’un ou l’autre.

L’expérimentation du dessin enrichit ses peintures et vice-versa.

C’est ce que l’on comprend bien au travers de ce trois œuvres présentées où l’artiste passe de l’esquisse au grand tableau. Prenez le temps de les regarder et vous arriverez à une synthèse de l’ensemble : peinte en noire, la forme à droite s’éclaircit dans sa version finale. Ombre et lumière converse comme l’artiste dialogue en son for intérieur.

Dans la même démarche initiatique, une série de petits tableaux très intéressante : tout y est.

Dans un mouchoir de poche, l’artiste arrive à exprimer de manière aussi forte ce qu’il couche sur ses grands formats.

Du petit ou plus grand, du grand au plus petit, une belle synthèse du rapport de l’homme avec l’univers et le tout.

La question de l'existence de l'infiniment grand consiste à s'interroger sur la finitude ou l'infinitude de l'univers : question non résolue

C’est là que l’on peut voir que l’artiste était dans cette quête.

Les tableaux de 1951 sont une remise en jeu des toiles passées : après la condensation, on assiste à une fragmentation.

L’élaboration du langage continue : tantôt il construit par accumulation, tantôt il ouvre l’espace dans une dynamique aérienne.

Dynamique qui le fait revenir dès 1952 à une certaine figuration 

Mais cela reste encore un mot qui figerait son art.

Le sujet n’est finalement pas très important : il se place comme Manet qui inaugure l'abolition du sujet dans la peinture tout en affirmant la subjectivité du peintre, en donnant une importance au regard de l'artiste.

Chez de Staël, il pourrait s’agir de pavés au bord d’une route aussi bien que de pommes en hommage à Cézanne à l’instar de ces Trois Pommes en gris

Nicolas de Staël peint comme l’ont fait les impressionnistes sur le motif : en 1952, il peint des dizaines de paysages sur des petits formats, propices au travail en extérieur.

Même si on croit les connaître tous, tant ils sont souvent reproduits (il en peindra plus de 240), les paysages réalisés par Nicolas de Staël ont leur propre personnalité : une lumière différente, des couleurs foisonnantes nous laissent explorer d’autres facettes de l’artiste, entre ciel, terre et mer embrassant les éléments par sa vigueur du trait, de la forme et de la couleur.

Paul Rosenberg, le marchand de Nicolas de Staël, les présente à New York en 1953. C’est un succès.

Trop rapidement évoquée lors de la rétrospective du Centre Pompidou en 2003, l’œuvre ultime de Staël est ici mieux représentée avec de superbes natures mortes, comme la série des bouteilles qui donnera lieu à de nombreuses variations en employant un objet du quotidien dans une construction

En 1953, Nicolas de Staël s’installe en Provence qu’il apprécie : cela se traduit par des tableaux à la lumière éclatante et la rencontre d’une femme.

La passion se mêle à l’amour de la nature foisonnante du sud de la France : le travail conjoint la texture et la couleur. Ses peintures sont empreintes d’une certaine sensualité, donnant l’envie de toucher comme on aurait envie de le faire pour une sculpture.

Mais Staël ne se laisse pas éblouir, il revient également à Paris pour reprendre le pouls de la lumière citadine pour explorer la vibration de la lumière.

Il travaille sans cesse. Son travail s’allège dans une quintessence : revenir à l’essentiel.

A cette image, on peut voir les grands dessins de nus, ou les profils à l’encre ou  les Barques datées de 1953-54 où l’essentiel est dit.

En 1954, il s’installe à Antibes pour se rapprocher de Jeanne qui prend ses distances et ce rapport passionnel sera le déclencheur du geste fatal.

De cette période, l’artiste peint des tableaux merveilleux.

Le Concert, un tableau laissé inachevé dans l’atelier d’Antibes, qui n’a pas pu être déplacé à cause de sa fragilité mais que je vous fais partager, ayant eu la chance de le voir cet été au musée d’Antibes.

Mon avis

Si je devais vous donner mon avis sur cette exposition : le résultat donne une exposition chronologique qui permet d’appréhender le travail de l’artiste et de comprendre au plus juste sa démarche.

La qualité de l’accrochage est sans faille, tout comme le parcours dressé de manière didactique, mais intelligente, sans aucune redondance.

Me concernant, j’ai été très surprise de certains dessins du début de sa carrière dont le caractère m’était inconnu, plus accoutumée à son travail des années 50,

J’ai particulièrement apprécié les dessins de Nicolas de Staël, notamment en fin d’exposition, ces nus ou fruits aux traits elliptiques où tout est dit : une force du trait retraçant l’âme de l’artiste.

Vous savez que je suis une passionnée de sculptures et je trouve que souvent les dessins des sculpteurs sont très forts, beaucoup plus qu’un dessin d’un peintre. Une âme particulière.

Je dois dire que j’ai retrouvé ici cette même âme tout à fait unique

L’exposition est chargée d’émotion, la sensibilité de l’artiste est palpable au travers de la déambulation des salles.

Alors chacun trouvera son affinité avec certains tableaux qui éveillera en soi sa propre sensibilité.

Nicolas de Staël reste une figure majeure de l’art moderne.

Ses œuvres puissantes et émotionnelles continuent de captiver les amateurs d’art du monde entier et le succès de cette exposition en est le parfait témoin : la réservation est de rigueur et essayez de venir à l’ouverture pour éviter le monde et l’attente au vestiaire.

Mais surtout ne manquez pas cette exposition.

Elodie Couturier

Retrouvez notre article sur Encherissez.com , Nicolas de Staël, une exposition à Brioude

Retrouvez nos articles relatifs à Nicolas de Staël : 

- sur la cote de Nicolas de Stael

- Nicolas de Staël, un écorché vif

Si vous possédez un tableau ou un dessin de Nicolas de Staël, et que vous cherchez à en déterminer la valeur ou la cote,  nos experts en tableaux sont à votre disposition pour estimer et pré-expertiser gratuitement votre tableau ou dessin. Grâce à notre présence depuis plus de quarante ans sur le marché de l'art, nous pouvons vous conseiller pour vendre dans les meilleures conditions votre tableau ou dessin de Nicolas de Staël. 

 

 

Articles en rapport