Musée Picasso à Antibes

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A la découvert du musée Picasso, niché dans la vieille ville au Château Grimaldi à Antibes

Avant de vous faire découvrir ce musée, je vous invite à découvrir brièvement son historique

De la résidence d’évêques à Pablo Picasso

L'histoire du musée Picasso d'Antibes trouve ses racines dans un lieu riche en passé et en transformations. Bâti sur les fondations de l'ancienne acropole de la cité grecque d'Antipolis, qui évolua ensuite en castrum romain et servit de résidence aux évêques du Moyen Âge le château Grimaldi a connu une série de métamorphoses au fil des siècles. À partir de 1385, la famille monégasque qui l'occupa lui imprima son nom. À tour de rôle demeure du gouverneur du Roi, puis, dès 1792, hôtel de ville, le bâtiment prit une nouvelle destinée en se muant en caserne en 1820. Cette transformation marqua la mainmise du Génie militaire sur les lieux, et cette situation persista jusqu'en 1924.

En 1925, la ville d'Antibes fait l'acquisition du château des Grimaldi, le transformant ainsi en musée Grimaldi. Puis, en septembre 1945, Pablo Picasso franchit les portes du musée Grimaldi, marquant ainsi le début d'un nouveau chapitre dans l'histoire du lieu. En 1946, c'est Romuald Dor de la Souchère, premier conservateur du musée, qui suggéra à Picasso d'utiliser une section du château comme atelier, lui offrant ainsi un espace dédié.

Picasso, animé par un enthousiasme débordant, investit le château et donne naissance à un foisonnement d'œuvres, allant des dessins aux peintures. À la suite de son séjour en 1946, il laisse un héritage artistique important à la ville d'Antibes, déposant en tout 23 peintures et 44 dessins.

Le 22 septembre 1947 marque l’inauguration officielle de la salle Picasso, située au premier étage du château, où les œuvres d'Antibes sont exposées pour la première fois. L'aura de Picasso ne cesse de grandir. Le 7 septembre 1948, une exposition révèle l'enrichissement notable des collections avec la présentation de 78 céramiques réalisées à l'atelier Madoura de Vallauris.

Le 13 septembre 1949 marque un autre tournant, marqué par l'inauguration de l'exposition "Tapisseries françaises" et la mise en place de nouvelles salles dédiées aux peintures, céramiques et dessins de Picasso, offertes à la contemplation du public.

L'apothéose survient le 27 décembre 1966, date à laquelle la ville d'Antibes honore de nouveau Pablo Picasso en rebaptisant le château Grimaldi en "musée Picasso", le tout premier musée exclusivement dédié à cet artiste exceptionnel. Cette décision officialise la place primordiale qu'occupe Picasso dans l'histoire culturelle de la région.

Pour parfaire cet héritage, en 1991, la dation Jacqueline Picasso apporte une nouvelle impulsion en autorisant un enrichissement supplémentaire des collections Picasso, donnant ainsi une nouvelle dimension à l'expérience artistique offerte par le musée Picasso d'Antibes créatif exceptionnel au maître artiste.

Partons désormais  à la conquête du musée Picasso

Visite du musée : un musée ouvert sur l’art contemporain

De Picasso à de Stael

Quelle n’a pas été ma surprise de commencer ma visite par une salle consacrée à des œuvres majeures de Nicolas de Stael dans une  suite de salles intitulée « La collection, nouvelles acquisition (2013-2023)

Il y a une raison simple : Les œuvres de Nicolas de Staël, qui a vécu et laissé sa trace à Antibes, trouvent leur écho régulier au sein du musée. Elles sont le témoignage tangible de la période où le peintre résida dans la ville, de septembre 1954 à mars 1955, année de sa disparition : il se suicida du toit de son atelier.

Je ne peux que vous conseiller de lire le livre de Laurent Greisalmer sur la vie de l’artiste : Le Prince Foudroyé - La Vie De Nicolas De Staël

À la suite de l'exposition dédiée à l'artiste en 1955, sa veuve choisit de faire un premier don au musée Picasso, consolidant ainsi le lien entre l'œuvre de Nicolas de Staël et cet espace culturel. Dès 1982, la ville d'Antibes renforce cet héritage en acquérant des œuvres significatives provenant de la dernière phase créative de l'artiste, ajoutant ainsi une nouvelle dimension à la collection du musée : Bateaux à Antibes, Le fort carré d’Antibes, Le Concert, Nu de profils accompagnées de dessins de 1954.

De Stael aux maîtres de l’art moderne

En 2001, un nouveau chapitre dans la vision globale du musée Picasso, centré sur le vaste hommage à l'art moderne, s'ouvre grâce à la généreuse donation de la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman. Cette donation s'est traduite par l'inauguration de deux salles au rez-de-chaussée du musée, qui n’était pas là ce jour, en raison de l’exposition qui s’est terminée le mois dernier à Paris au musée d’Art Moderne d’Anna Eva Bergman  « Voyage vers l’intérieur ». Si vous n’avez pas eu la chance de voir cette exposition, je vous invite à voir ma vidéo consacrée à cette exposition parisienne

De manière équivalente, la collection d'art moderne, qui a été amorcée dès 1951 sous l'égide de Dor de La Souchère, se nourrit de dons exceptionnels octroyés par des artistes de renom. Cette collection incarne un panorama représentatif des courants artistiques majeurs des XXe et XXIe siècles.

Parmi les artistes qui y trouvent leur place, on compte des figures notables tels qu'Arman, Atlan, Balthus, Ben, Bioules, Bloch, Buraglio, Bury, Calder, Cane, Castellas, César, Chillida, Clavé, Combas, Corneille, Crotti, Debré, Dezeuze, Dubuffet, Ernst, Gleizes, Goetz, Hantaï, Hartung, Jaccard, Klein, Leppien, Magnelli, Malaval, Mansouroff, Mathieu, Meurice, Modigliani, Music, Picabia, Pincemin, Raynaud, Raysse, Sarkis, Spoerri, Viallat, et bien d'autres.

Cette collection remarquable témoigne de l'engagement continu du musée à embrasser la diversité et la richesse de l'art moderne dans toute sa splendeur.

Une déambulation qui ne pourra vous laisser de marbre : un face à face de œuvres monumentales de Pierre Soulages et Jean Degottex.

Un tableau de Sayed Hayed Raza dont une exposition a été dédié récemment à Beaubourg.

Pour les amateurs, je vous invite à voir ma vidéo consacrée à cette exposition qui suite

les développements formels et conceptuels du travail de Raza.

Picasso au Château Grimaldi

Revenons donc à Picasso.

Le séjour de Picasso à Antibes marque un chapitre significatif de son lien avec cet endroit.

Une très belle série de tirages argentiques retranscrit la présence de Picasso sur les lieux.

En août 1946, en compagnie de Françoise Gilot, Picasso réside chez l'imprimeur Louis Fort à Golfe-Juan. À cette époque, le sculpteur et photographe Michel Sima est en pension chez Dor de la Souchère à Cannes, après avoir survécu à trois années de déportation à Auschwitz. Sima apprend la présence de Picasso à Golfe-Juan et saisit cette opportunité pour négocier un don pour le musée d'Antibes.

L’accrochage des œuvres de Picasso retranscrivent bien la présence du maître :

Picasso exprime son besoin d'espace et Dor de la Souchère répond en aménageant la grande salle du second étage du château pour l'artiste. Picasso est fourni en tout ce dont il a besoin pour travailler, et le château devient son atelier créatif. Les grandes surfaces, les chevalets, les tables, les couleurs, les pinceaux, tout est mis à sa disposition. Pendant son séjour, Picasso peint chaque jour, souvent jusqu'à tard dans la nuit, éclairé par d'énormes projecteurs. Il crée en utilisant des objets variés issus des salles ou de la réserve du musée, composant des œuvres qui captivent par leur désordre organisé.

Son séjour à Antibes débute le 17 septembre 1946 et se termine le 10 novembre de la même année. Il laisse 23 peintures et 44 dessins dans le musée, qui forment la base de sa contribution à l'histoire artistique d'Antibes. Picasso revient à plusieurs reprises au château pour peindre d'autres œuvres marquantes, et son héritage se renforce au fil du temps.

Alors je vous laisse déambuler au travers de ces salles et prendre le temps d’apprécier ces œuvres majeures et je vous propose une petite sélection personnelle

Ma sélection

J’ai particulièrement apprécié des œuvres énigmatiques et symboliques comme les Clés d’Antibes, tableau daté de 1946 qui marque pour moi une synthèse du génie de Picasso : une œuvre au caractère géométrique simplifiée : tout est dit.

Ne manquez pas cette chèvre, dont vous pourrez apprécier les repentirs de l’artiste.

À l'automne 1946, Picasso a créé plusieurs œuvres au château, mais il a également fait preuve d'une liberté artistique en procédant à des retouches profondes en cours d'exécution. Ce qui est remarquable, c'est que Picasso n'a pas cherché à dissimuler ces repentirs, les laissant visibles, offrant ainsi un aperçu fascinant de son processus créatif.

Le triptyque "Satyre, faune et centaure au trident" est un exemple frappant de cette approche.

Au cœur de cette toile, les repentirs demeurent apparents, témoins de la manière dont Picasso a travaillé. Deux photographies prises à différentes étapes par Michel Sima (fig. 1 et 2) et les analyses récentes de la peinture industrielle utilisée par Picasso pendant son séjour à Antibes apportent un nouvel éclairage sur les modifications apportées au volet gauche de l'œuvre. Cette compréhension enrichie permet de mieux saisir les étapes du processus artistique.

L'œuvre en elle-même, qui donne vie au satyre musicien, au faune dansant et au centaure brandissant son trident, présente un caractère unique en tant que peinture en grisaille et dessin monumental. L'approche de Picasso est évidente dès le départ : il esquisse chaque personnage du bestiaire antique au crayon sur des plaques de fibrociment recouvertes d'une fine couche de peinture blanche. Ensuite, il utilise une peinture blanche épaisse pour contourner chaque figure mythologique, et au fusain, il ajoute le dessin définitif dans la peinture encore fraîche. Cette méthode crée un effet saisissant, où les lignes du dessin sont enfoncées et incorporées dans la matière même de la peinture.

Je vous laisse découvrir la salle des figures féminines dont certains dessins ressemblent à des esquisses de sculptures à venir pour vous amener plutôt vers un grand nu, d’une beauté majestueuse : Nu couché au lit blanc

Tout au long de son parcours artistique, Picasso a profondément exploré le thème classique du nu, faisant de cette exploration un territoire de créativité sans pareil. Chaque nu qu'il a créé reflète la période artistique qu'il traversait, et va au-delà pour devenir une expression saisissante de la réalité du corps féminin.

«Je veux DIRE nu. Je ne veux pas simplement représenter un nu. Je veux seulement DIRE sein, DIRE pied, DIRE main, ventre. [...] Un seul mot suffit quand on parle. Ici, un seul regard, et le nu te dit ce qu'il est, sans phrase.» - Hélène Parmelin, Picasso dit, Paris, 1966.

L'exceptionnel réside dans la manière dont Picasso, avec une épuration du trait étonnante, parvient à saisir l'essence de la forme humaine. Chaque nu est un dialogue silencieux, où chaque trait et chaque courbe suggèrent bien plus qu'ils ne montrent. Dans son "Nu couché ", le corps rappelle les odalisques sensuelles qui, depuis des siècles, captivent le spectateur. Picasso emprunte des éléments à Ingres, tels que la torsion du corps et la position des bras, pour créer une composition où les courbes fluides rencontrent des angles vifs. La géométrie devient langage, une spirale parle de l'enroulement des bras autour de la tête.

Dans "Nu couché ", Picasso continue de parler avec concision. Les signes des seins, les traits du visage – sourire, regard attentif – se matérialisent au fusain, insufflant vie et présence à l'œuvre. En contraste, il représente le corps en tons de gris sur un lit rigide, donnant l'impression d'une sculpture se détachant du fond fluide et chaud du support en bois. L'aspect du bois évoque les imitations de faux bois présentes dans ses œuvres cubistes, une référence retrouvée dans les lignes qui structurent le tableau et dans la manière d'indiquer la réalité par des signes simples.

Dans certaines œuvres, les cheveux jouent un rôle crucial, agissant comme des contre-poids subtils pour soutenir cette harmonie fragile. Cependant, bien loin de n'être que des exercices esthétiques, ces visages captivants évoquent des ambiguïtés profondes liées à la représentation humaine : les yeux évoquent des seins, les sourires deviennent des nombrils sur des ventres ronds. Têtes et corps se condensent en des icônes énigmatiques de la féminité, explorant des territoires complexes de signification. Picasso y convoque également une certaine animalité, révélant parfois le nez de son chien Kazbek, qui avait déjà marqué certains portraits de Dora Maar pendant les années de guerre. En effet, cette série incarne l'union de l'histoire du château avec la vision créative de Picasso, fusionnant les strates temporelles pour aboutir à une expression artistique captivante et profondément émotionnelle.

Je m’arrête là quant à l’énumération des œuvres car elles sont nombreuses et comme souvent concernant Picasso, toutes constituent des œuvres majeures.

Un mur impressionnant de céramiques de Picasso – d’autres également sont présentés de ci de là dans le musée dans des vitrines viendront compléter votre visite.

Là où l’on ressent peut—être le plus le bien-être de Picasso à Antibes est probablement retranscrit au travers d’une série de toiles peintres avec poissons, calamar, citrons, : des œuvres simples, lumineuses qui permettent à Picasso de jouer sur les formes et leurs contrastes.

Mon avis sur le musée Picasso

Si je devais vous donner mon avis sur le musée Picasso.

Vous arriverez tout d’abord au musée perché sur les hauteurs de la vieille ville : votre promenade pour y arriver vous conditionnera pour profiter d’autant plus de votre visite.

Peu de monde, une attente de quelques minutes – surprenant pour un mois d’août – un accueil très aimable et un lieu chargé, magique où l’on imagine parfaitement Picasso travaillant en ces lieux.

Ne manquez pas à la sortie sur la terrasse du musée Picasso, une remarquable collection de sculptures de Germaine Richier proposée en permanence. Je me permets de vous rappeler à ce sujet l’exposition qui a eu lieu au musée Beaubourg à Paris. Là encore si vous n’avez pu vous y rendre, une vidéo consacrée vous est proposée sur notre chaîne.

D'autres artistes sont représentés sur cette magnifique terrasse, jouissant d’une vue panoramique époustouflante : entre autres, Joan Miró, Bernard Pagès, Anne et Patrick Poirier.

A bientôt sur expertisez pour de nouvelles visites de musées et d’expositions

Elodie Couturier

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