Gérard Garouste du symbole à l'idée

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Exposition Gérard Garouste qui se tient au Musée Pompidou à Paris, jusqu’au 2 janvier 2023

Le Centre Pompidou célèbre l'œuvre de Gérard Garouste, figure majeure de la scène artistique contemporaine française.

Je ne vais pas vous faire une visite de l’exposition, qui serait probablement déroutante – encore une fois, allez au musée - mais je vais vous parler de Garouste et de son rapport à l’iconographie et à l’iconologie.

L’iconographie est la représentation d’un sujet.

L’iconologie, littéralement la « science des images », est schématiquement le message qu'elles sont susceptibles de véhiculer.

Mais avant de se plonger dans ces explications, revenons à quelques points clés concernant Gérard Garouste :

Aujourd’hui âgé de 76 ans, Garouste a fait ses études aux Beaux-arts de Paris de 1965 à 1972 dans l’atelier de Gustave Singier.

D’abord créateur de dessin humoristique et créant des scénographies pour son ami Jean Michel Ribes, c’est la rencontre avec Jean Dubuffet et des œuvres d’art brut qui le décident à se diriger vers la peinture figurative dès la fin des années 70.

Première exposition à la galerie Durand-dessert, puis il expose très vite à l’international, notamment représenté par le marchand Léo Castelli.

La reconnaissance institutionnelle vient compléter ce parcours dès la fin des années 80, exposé à Bordeaux, à la Fondation Cartier, et répondant à de nombreuses commandes publiques, pour des décors à L’Elysée ou des sculptures à la cathédrale d’Evry, ou encore le rideau de scène du théâtre du Châtelet et bien d’autres réalisations encore.

Notons également que le peintre a fondé, en 1991, La Source, une association d’éducation et de formation pour les jeunes défavorisés.

Mais revenons à l’exposition.

Lorsque je suis arrivée dans l’exposition une chose m’a sautée aux yeux :  la symbolique ou plutôt le symbole.

J’ai pensé alors à Irwin Panofsky et à ses essais iconologiques, écrit en 1967, un ouvrage qui m’avait passionné en son temps.

Panovsky a fondé l'histoire de l'art, à l'époque dominée par des explications psychologiques, physiologiques et esthétiques, ou réduite à une description iconographique assez naïve, comme une science d'interprétation.

Il s’est attaché à suivre les métamorphoses de traditions antiques : le temps, l'amour, la mort ou la genèse du monde. Ce sont autant de petites odyssées étranges et savantes, dont les épisodes consistent en fusions et confusions de concepts et d'images, en malentendus, oublis, résurrections et renaissances de toute sorte.

Et soudain voici que l'énigme d'une œuvre se résout : la chimie artistique a donné au thème un sens nouveau. 

C’est là où nous revenons à notre approche iconographique et iconologique pour Gérard Garouste. De l’image à l’idée.

Mais revenons tout d’abord à l’origine : l’artiste.

Cette exposition de 120 tableaux est certes une dédicace de sa vie, mais pas seulement.

La publication de son récit autobiographique en 2009 « l’Intranquille » permet de mieux comprendre la signification de ses tableaux, puissants, et criant la vérité de l’artiste.

En effet, Garouste révèle alors le poids de son histoire familiale : un père antisémite condamné en 1945 à rembourser les établissements Lévithan qu’il avait spoliés en 1943. Certains tableaux retracent des souvenirs de Garouste, de son père violent avec sa mère.

Bref, Garouste voit dans toute cette histoire familiale l’origine de ses troubles mentaux, ayant d’ailleurs passé plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, notamment dans sa jeunesse à Villejuif ou à Saint Anne.

Si je vous livre ces différents faits, ceci permet surtout de comprendre la démarche de l’artiste qui peint exprimant ce qu’il est au plus profond de lui et qui le dépasse la plupart du temps, ce qui en fait un artiste à part entière, pour exprimer autre chose.

La mythologie et l’allégorie ont occupé dès le début de sa carrière une place importante et c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui.

Les peintures de Garouste font souvent référence à la Bible qui occupe une place essentielle dans sa vie puis qu’il l’étude intensément parallèlement à l’apprentissage de l’hébreu à la fin des années 90.

Garouste peint directement sa vie sur la toile, à travers le véhicule des mythes. Vous voyez bien là que l’on retrouve exactement ce dont je vous parlais précédemment au sujet de l’iconographie et de l’iconologie.

Mais à quelle fin ? Même lui ne saurait répondre à cette question.

Garouste n'y a rien de refoulé dans son travail - ses illusions de soi sont entièrement conscientes.

Son œuvre regorge d'écarts et de rapprochements de sens, d'associations d'idées.

Me concernant j’ai trouvé les tableaux de Garouste fascinants, souvent remplis d’un humour intelligent, où l’iconographie laisse place à une iconologie qui dépasse les explications assez simplistes des cartouches de l’exposition, mais ceci n’engage que moi.

Cette exposition met d’ailleurs très bien en lumière la progression de l’artiste :

La mythologie qui tient une place importante dans la composition de ses grands tableaux ou encore les grands récits dont il puise son inspiration comme la Divine Comédie de Dante jusqu’à l’initiation suprême au travers de l’étude du Talmud qui inspire son iconographie dès les années 90 et 2000 – tous ces thèmes vont servir Garouste à s’exprimer et à véhiculer un sens.

Garouste est un passeur : du symbole à l’idée.

Les tableaux de Garouste invitent à la réflexion, et à une lecture personnelle et à une énigme que chacun résoudra à sa manière.

Au fil du temps, je me rapproche du centre". Dit-il

Le sujet comme alibi...

L'hébreu qu’il a étudié comme je vous l’ai dit précédemment, est une question d'interprétation.

Comme Garouste se plaît à le rappeler souvent, "une même racine de trois lettres peut donner des mots différents".

Le peintre en donne un exemple : "Désert, mot et abeille ont la même racine". Autant de champs de possibilité que Garouste couchent sur ses toiles.

Gérard Garouste est obsédé par les origines de notre culture et la relecture des mythes, et surtout l'interprétation

Mais tout ne tombe pas dans le domaine de la vérité, comme l'Histoire, mais devient affaire d'interprétation, comme la mythologie.

En somme, de la même manière que l'hébreu ouvre le sens des mots, Garouste ouvre sa peinture en opérant ce qu'il appelle le "démontage des mots et des images".

Ce qui est intéressant c’est que l’artiste ne nous laisse pas démuni devant ses tableaux : une clé est offerte par une iconographie claire, permettant à chacun d’y trouver une réponse, et de dépasser l’image ; c’est bien là le principe de l’iconologie. Ainsi, le sens s'ouvre.

« Un bon tableau fait porter toute la responsabilité à celui qui le regarde, ajoute-t-il en citant La Mort de l'auteur de Roland Barthes. C'est le lecteur qui trouve le sens d'une œuvre. Je ne crée pas des tableaux qui répondent à des questions, mais qui les soulèvent. »

C’est un exercice pour ma part que je trouve très réussi : des tableaux figuratifs qui nous parlent, choquent peut-être certains, mais ne peuvent laisser indifférents.

Il est vrai que son œuvre n'est pas épargnée par la violence, à tel point que Claude d'Anthenaise, directeur du musée, s'interrogeait lors du vernissage de l'exposition, sa boutade teintée d'inquiétude : "Ne faut-il pas refuser l'entrée aux jeunes enfants ?"

En fait je dirais que Garouste sait autant manier l’iconographie classique comme cette Sainte Thérèse d’Avila, commande du Comité national d’art sacré dans le cadre du quatrième centenaire de la Sainte, qu’une iconographie plus libérée où l’artiste a néanmoins des jalons d’iconographies classiques servant une iconologie que chacun expliquera à sa manière : des symboles que chacun peut reconnaître le chien, le miroir

 le chien « miroir » est en réalité le reflet de son maître.

Le miroir est ici opaque, le chien couché, le maître présente le miroir dans une atmosphère grise – l’opacité de la pensée et la difficulté d’en expliquer les tenants et aboutissants. 

Ou encore Pinocchio et la partie de dés : les dés, le bateau, la rame, Pinocchio le regard enjôleur, autant de symboles criants et qui renvoie à l’appréhension d’un monde incertain mais que chacun peut interpréter à sa manière. Garouste invite et le spectateur dispose des instruments qu’il nous laisse.

De la signification primaire à la signification intrinsèque du contenu qui est une des définitions de l’iconologie s’applique parfaitement à Garouste.

Alors bien entendu, on peut tout de même expliquer ces tableaux dans un spectre de l’artiste rattaché à sa vie et à ses recherches, mais cela me semble un peu réducteur.

Ce que je trouve intéressant, et cela est valable pour les autres grands artistes, c’est de dépasser le tableau, l’artiste et d’y puiser ce qu’il a voulu faire passer, un concept qui le dépasse et qui nous dépasse et c’est bien là la différence que l’on peut faire entre un art artisanal et un art tout court, dont l’artiste n’est que le passeur.

Mon avis sur l’exposition

Cette exposition permet de (re)découvrir Garouste, mais un conseil : il faut arriver frais et dispos, car le foisonnement de ses tableaux en si grand nombre peut être épuisant.

Promenez-vous, déambulez-vous au travers des salles, et tout naturellement vous reviendrez sur un tableau qui vous aura marqué.

Pour ma part, j’ai découvert les sculptures que je ne connaissais pas. Vous connaissez ma passion pour la sculpture.

La chambre rouge datée de 1982: dans un traitement très classique du tableau, à y regarder de plus le tableau montre une iconographie totalement bousculée : l’homme est allangui comme le sont les femmes dans des tableaux classiques du 18 ou 19ème par exemple et la femme est débout, habillé.

Peut-être un précurseur du symbole de la domination féminine qui aboutira à une soumission totale de l’homme.

Je plaisante bien entendu car je ne pourrais supporter un monde pareil, quelle horreur !

Non j’y vois plutôt au contraire un puissant hommage à la femme, tout en finesse.

Bien sûr n’oubliez pas en partant ou en arrivant, prenez-le temps de contempler Paris !

Elodie Couturier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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